Bonjour à toutes et à tous,
Je vous avais laissé il y a quelques semaines avec un tour d’horizon des couvertures pour lesquelles l’éditeur n’avait finalement que peu de raison de se creuser la tête : on trouve une chouette couverture, on maquette et hop ! Un livre !
Dans cette 2e partie, on passe la vitesse supérieure avec des cas un peu moins évidents, mais néanmoins beaucoup plus intéressants !
LES RE-CRÉATIONS
Quand l’éditeur s’improvise graphiste…
Il arrive que l’on tourne et retourne chaque couverture d’une série que l’on aime sans trouver LA bonne couverture (et c’est souvent très frustrant). Il faut alors être créatif. Et je vous avoue que c’est finalement ce type de situation que je préfère. Certaines de ces "re-créations” nous donnent parfois de sacrées migraines (coucou Arthur L !), mais jusqu’ici, on s’en est pas trop mal sortis et toujours avec la satisfaction d’avoir appris quelque chose.
Sur GOTHAM CENTRAL, les couvertures d’origine, dessinées pour la plupart par Michael LARK, n’étaient pas à mon sens les plus évidentes pour notre marché, même si celle du #1 pouvait faire le job. On a alors cherché dans les pages intérieures pour trouver notre bonheur. La direction donnée était de se concentrer sur des visuels qui renvoient au côté polar de la série, des visuels capables de mettre les icônes de DC au niveau de la rue, de les rendre vulnérables et plus humaines. Il fallait créer un ensemble cohérent, d’où le cartouche du logo systématiquement placé au même endroit. En terme d’inspiration, on a clairement été pêcher du côté du label Rivages/Noir. Aaah… Ce Batman qui rentre par la fenêtre à la manière d’un Zorro… J’ai longtemps eu ces 4 couvertures punaisées dans mon bureau tellement l’effet d’avoir dégagé un ensemble cohérent était satisfaisant.
Dans le cas des couvertures du QUATRIÈME MONDE de Jack KIRBY, développer une série de plans serrés sur les visages des protagonistes était une évidence. Le but était de mettre en valeur la puissance (la violence aussi) du dessin du créateur des New Gods. Une direction renforcée par le concept des couvertures “wrap around” (qui couvrent à la fois la 1ère et la 4ème de couverture) de la collection DC ARCHIVES. Là encore, nous avons mis le côté les couvertures originelles de la série pour nous concentrer sur les pages intérieures.
PROMETHEAAaah… PROMETHEA ! Là, on peut dire qu’on a “beaucoup appris” ! Une autre manière de dire qu’on a “pas mal galérer”… Avec Thierry et Victorine, qui travaillaient sur la série, nous étions partis dans une direction initiale très BD, mais on sentait en même temps que le contenu très atypique de la série nous invitait à tenter autre chose. C’est au cours d’une discussion avec Pôl, notre directeur, que l’on a trouvé la solution : transformer la couverture en fac-similés d’ouvrages ésotériques, voire de grimoire d’alchimie. On est ressortis du bureau avec en tête les couvertures de la collection Marabout Fantastique et des J’ai Lu L’Aventure Mystérieuse pour nous rabattre finalement sur un concept de couverture à la Jérusalem d’Alan MOORE comme source d’inspiration. Comme quoi, parfois la solution se trouve sous nos yeux :) En réalité, le risque de se départir d’une imagerie BD s’est avéré payant puisque la série a eu son petit succès en librairie et a pu, je pense, séduire un public au-delà du lectorat BD. Les plus curieux d’entre nous pourront déceler notre tentative de coller aux thématiques magie blanche, magie noire et symboles de la kabbale (avec comme contrainte de reprendre uniquement des éléments graphiques présents dans les pages BD). Rien de très sérieux puisque nous ne sommes pas vraiment experts en symbolique, mais on a essayé ! Et puis, ça ne nous a pas empêché d’être validés par JH WILLIAMS III à l’époque :) (je ne retrouve plus le tweet mais il nous avait demandé de lui envoyer les albums).
Au-delà de nos couvertures, le travail entrepris sur notre collection URBAN CULT, à partir de 2018, nous a permis de faire évoluer notre maquette de manière significative en faisant passer l’œuvre avant la marque de l’éditeur. Il était alors évident que devant l’importance symbolique de ces œuvres, nous devions faire ce petit “effort”. Ça n’a l’air de rien dit comme ça, mais c’était une première pour nous. Et pour être honnête, lorsque l’on commence à tirer sur le fil, on se prend rapidement au jeu de vouloir expérimenter au-delà de notre charte graphique originelle… Un exercice auquel s’est volontiers prêté David LARANJEIRA, notre DA ! Vous remarquerez que, malgré ces quelques infidélités, certains codes graphiques et placement de logos restent immuables. C’est la manière de reconnaître un album Urban et de conserver notre identité. Toujours changeons, toujours le même… Vous vous souvenez d’Héraclite ? :)
D’autres exemples des maquettes caractéristiques de la collection URBAN CULT, exécutés de main de maître par David :
LE GRAND FORMAT URBAN
Quand il faut accepter de changer de logiciel…
Une autre étape importante de l’évolution de notre charte graphique et de la manière de considérer la place de la couverture a été la création du Grand Format Urban en 2021.
La série de couvertures à suivre résulte d’un logique légèrement différente de celle appliquée à nos albums habituels. Adaptées pour notre label Grand Format Urban — qui n’a pas d’autre raison d’être que de coloniser les rayons de BD européennes ! —, elles doivent répondre au même impératif : être capable d’attirer la lectrice ou le lecteur de BD franco-belge tout en ressortant un peu du lot (quand même). Aussi, on doit parfois se faire un peu violence et aller contre ses instincts d’éditeur “comics” pour envisager autre chose graphiquement.
Le cas du dyptique DECORUM, de Jonathan HICKMAN et Mike HUDDLESTON, est assez caractéristique de cette nouvelle gymnastique graphique.
À l’origine, j’étais subjugué par les prouesses graphiques de chaque couverture de Mike HUDDLESTON qui était comme une nouvelle fenêtre ouverte sur cet univers si singulier. Je pensais en priorité utiliser la couverture du premier épisode qui répondait assez bien à mes exigences graphiques d’éditeur “comics”. Notre graphiste Cyril TERRIER, encouragé par Thierry F. de l’édito, avait même été jusqu’à imaginer un fourreau - ajouré au niveau du logo “Decorum”- qui aurait mis en valeur les couvertures variantes très “alien” de la série.
Voici ce que ça aurait pu donner :
Visuellement, on a vraiment trouvé ça top ! Mais les sirènes de la crise des matières premières commençaient déjà à couvrir nos prétentions artistiques, et ça a été la fin de la récré. Aussi, nous avons dû abandonner l’idée des fourreaux (trop chers) pour revenir à quelque chose de plus réaliste.
Et c’est là qu’Éric LAURIN, notre directeur artistique historique, et David LARANJEIRA, notre DA actuel, avec qui nous travaillions alors que la création de la charte graphique des Grand Format Urban, ont proposé un dyptique de personnages - un chasseur de prime et l’héroïne Neha. C’était un choix que je n’avais pas du tout envisagé et qui, aujourd’hui, m’apparaît comme une évidence. En privilégiant le look très alien du chasseur de prime pour le tome 1, nous souhaitions également mettre en avant le caractère “S-F exotique” du récit, histoire d’inciter les libraires à placer ce titre sur les mêmes étagères que L’Incal, au hasard.
En parallèle de la publication de DECORUM, on travaillait également sur l’édition en intégrale, et dans le même Grand Format Urban, de EAST OF WEST, toujours scénarisé par HICKMAN, accompagné cette fois par Nick DRAGOTTA au dessin. Pour cet exercice, il s’agissait de se défaire des couvertures très chartées de notre première édition.
Des visuels qui formaient déjà une proposition différente de la version originale, beaucoup plus “dure” graphiquement pour notre marché. Pour nos éditions, on avait été piocher dans les pages intérieures (encore une fois !) de la série.
Un peu excités par la nouvelle piste ouverte par Éric, on a choisi une direction radicalement différente avec Arthur H., référent édito de ces intégrales. On a alors fait le pari de visuels qui allaient envoyer un message clair au potentiel lectorat : “Ceci est une série S-F”. Jugez plutôt :
Et le succès de notre “nouvelle trilogie” en librairie a renforcé notre sentiment d’avoir fait le bon choix de visuels pour le bon format. On pense que ces couvertures, alliées au grand format, ont incité un nouveau lectorat (le fameux) à s’emparer de la série. Et c’est sur cette conviction que nous avons poussé plus loin nos expérimentations avec d’autres titres.
Les couvertures de THE NICE HOUSE ON THE LAKE et du MYTHE DE L’OSSUAIRE découlent du processus décrit plus haut.
Et devinez quoi ?
Oui, ce sont toutes les 4 des pages intérieures !
Si les couvertures de NICE HOUSE ont été simples à définir, pour celles du MYTHE DE L’OSSUAIRE, ça a été une autre paire de manches ! Avec Arthur L., je nous étais mis une contrainte (toujours important de définir une contrainte) : ne pas taper dans les visuels trop révélateurs de la série. En gros, exit les visuels les plus sexy parce je souhaitais que l’on préserve le mystère de la série et puis… ça aurait été trop facile ! Durant cette période de gestation un peu douloureuse, Arthur L. avait suggéré une approche qui rappelait le traitement des affiches des films de A24 (le studio responsable, entre autres, des cauchemars éveillés que sont les films d’Ari ASTER) et avait même travaillé avec Marion D. un concept de couverture plutôt inspiré.
De mon côté, je voulais taper dans quelque chose de plus gothique, inspiré des premiers visuels avec lesquels les auteurs communiquaient sur les réseaux. Mais ça ne fonctionnait pas vraiment. Et surtout, à utiliser systématiquement cet habillage gothique, on allait créer une uniformité trop grande entre les titres de la série.
Eh bien, souvent, après 3 semaines de vaines expérimentations, et surtout à la veille d’un départ à Angoulême, il faut savoir revenir sur certains préceptes. Notamment celui de se mettre des contraintes un peu vénères. Aussi, une fois libéré de toutes entraves et en ne s’interdisant plus rien, les couvertures se sont littéralement présentées d’elles-mêmes avec, en tête, la direction proposée par Arthur.
L’autre expérience intéressante éprouvée avec Arthur a été la réalisation de la couverture de notre première intégrale de LAZARUS, de Greg RUCKA & Michael LARK. Si on craint rarement de ne pas trouver LA bonne couverture, je crois qu’on s’est un peu fait peur avec ce titre. L’idée de cette intégrale était de trouver un visuel qui n’ait pas été déjà publié (ici par Glénat). Malheureusement, les pages intérieures ne nous ont pas sauvés cette fois et il a fallu se tourner vers les bonus et surtout un print noir et blanc réalisé à l’occasion d’une convention américaine. Une mise en couleur plus tard, on tenait une couverture qui allait tabler sur l’ambiance “à la Succession” de la série. Rassurez-vous, on sera plus explicite et plus dans l’action pour la deuxième intégrale mais quand on connaît la densité et la violence de cette magnifique série d’anticipation, il y a quelque chose d’assez satisfaisant de proposer une couverture un peu à contre-sens de ce que l’on pourrait attendre.
L’ÉVOLUTION NATURELLE DE LA CHARTE DES URBAN INDIES
Aaah-Aaaah, we fade to… color !
Toutes ces expérimentations traduisent la nécessité pour un éditeur installé depuis 10 ans de faire bouger les lignes et de ne jamais s’endormir dans quelque chose de confortable. C’est entre autres pour cette raison qu’à l’occasion des 10 ans du label URBAN INDIES, nous avons choisi de faire évoluer la charte. Conscient que ces titres perdaient toute leur singularité et leur visibilité une fois rangés en rayons (on ne voit alors plus que le dos), et suivant la logique initiée avec URBAN CULT de faire passer l’oeuvre avant la marque de l’éditeur, nous donnerons désormais une identité visuelle propre à chaque titre indé et ce à partir du mois de mai. Nos indés n’auront pas tous une couverture wraparound, mais quand ça se justifie, on ne s’en privera pas :)
C’est une logique que nous avons également appliqué à GRAFITY’S WALL, le premier roman graphique de Ram V & Anand RK, à paraître le 7 juillet prochain.
Aussi, attendez-vous à quelques changements dans vos bibliothèques à partir de cet été :)
Voilà, j’espère que ces quelques infos partagées sur le processus de sélection - et de re-création - de nos couvertures vous aura intéressé. C’est une manière de vous montrer l’ensemble des réflexions engagées au-delà de la simple adaptation de nos contenus en VF. Et c’est aussi ce type de réflexions qui fait que ce métier reste passionnant au quotidien !
À bientôt !
PS : Et, tenez, une petite exclu pour un titre qui n’arrivera pas avant la fin d’année :)
J'adore vos couvertures Urban Cult (c'est d'ailleurs ma collection préférée chez vous).
Prométhéa est par exemple sublime.
Je note d'ailleurs une augmentation de la solidité/qualité de l'emballage sur Animal Man que j'espère retrouver sur les prochains titres.
Pour finir, Swamp thing en noir et blanc est un bijou, le papier est d'une qualité parfaite (même si pour le coup je suis pas fan de la couverture).
Intéressante newsletter. J'ai remarqué dans vos choix de couverture qu'il y avait une tendance à aller vers la sobriété. C'est assez flagrant dans le choix des couvertures de Decorum ou de Beyond The White Knight (vous avez choisi la couverture avec le moins de personnages). C'est un choix volontaire ?